Ce premier exercice d’écriture m’est venu suite à une question d’examen rapportée par ma belle-fille lors de son cours d’Epistémologie des disciplines.
Je me suis pris au jeu et j’ai donc choisi la thématique du temps et de l’espace originaires en référence à la philosophie kantienne.
Pourquoi deux et non pas un seul sujet ? La raison est qu’ils sont selon moi indissociables l’un de l’autre, s’il on veut comprendre ou du moins appréhender le tout originaire, comme le monde en soi…
La connaissance commence avec l’expérience, qui nous fournit des intuitions sensibles riches, variables, mouvantes dans les cadres très généraux de l’espace et du temps. Le monde perçu devient ensuite un monde pensé lorsque je relie entre elles les intuitions par des relations causales qui sont alors l’expression de mon intellect. Donc la connaissance du monde résultant du sensible et de l’humain reste une connaissance relative. C’est pourquoi, dans son étude des éléments, Kant classifie l’espace et le temps dans l’Esthétique transcendantale, qui a pour objet l’étude des conditions de la sensibilité.
L’espace
Toute expérience sensible nous conduit à nous représenter les objets comme extérieur à nous, dans ce que nous nommons l’espace. L’espace n’est pas un « concept empirique », notion construite a posteriori à partir d’expériences sensibles généralisées qui présupposerait l’espace lui-même. L’espace n’est pas non plus un « concept discursif », il n’y a pas plusieurs espaces dont l’Espace serait le concept. L’espace est donc une représentation indépendante de l’expérience a priori. Il est connu non pas par une construction de l’esprit mais directement par une intuition.
Les connaissances a priori que fondent l’espace sont les connaissances géométriques.
La géométrie détermine a priori les propriétés de l’espace qui garantit donc l’apodicticité (nécessité) des raisonnements géométriques. L’espace possède une certaine réalité puisqu’il fonde des sciences réelles. L’espace possède une idéalité puisqu’il n’a de sens que comme condition a priori de notre expérience. Il est ainsi idéalité transcendantale.
Le temps
Toute notre expérience se déroule dans le temps…
Tout comme l’espace et pour les mêmes raisons, il n’est pas un « concept empirique » ou un « concept discursif ». Il est une représentation a priori qui sert de fondement à toutes les intuitions sensibles. Sur ce caractère a priori se fondent les concepts de changement et de mouvement et la nécessité de la science du mouvement, à savoir de la mécanique rationnelle (Newton et Galilée). Ainsi pensés, le temps et l’espace représentent les conditions a priori de la sensibilité.
La connaissance sensible possède une matière, donnée immédiate de la perception sensible et une forme, constituée par les lois de la pensée permettant de percevoir et de comprendre les données multiples des sens : le temps est la forme du sens interne, l’espace est la forme du sens externe. L’espace et le temps sont les formes a priori de la sensibilité.
Paysage illusoire : la cosmologie rationnelle…, le monde, le tout…
Croire qu’il existe un monde en soi nous confronte à un certain nombre de contradictions fondamentales. Kant les aborde dans les antinomies de la raison pures, que nous ne pourrons résoudre qu’en admettant que la réalité du monde est phénoménale et non pas nouménale.
Je terminerai donc cette approche kantienne par une des thèses et anthèses du philosophe et relative aux deux sujets, mais je n’aurai malheureusement ni le temps ni l’espace pour développer :
– le monde a un commencement dans le temps et est limité dans l’espace ;
– le monde est infini dans le temps comme dans l’espace.
Liens à d’autres références et développement d’une réflexion personnelle.
Saint Augustin disait que tout le monde croit savoir ce qu’est le temps, mais que dès que l’on pose la question sur sa nature, personne ne sait plus. Pascal considérait le temps faisant partie des notions à la fois évidentes et obscures, ou le temps est indéfinissable…
Pour ma part, j’aime assez la représentation poétique de J. d’Ormesson comparant l’espace et le temps à deux jumeaux. Le temps comme l’espace sont deux dimensions du réel.
L’espace est solide et simple, d’une pièce, sans le moindre détour, doué pour l’astrophysique, la géographie, les mathématiques, la stratégie… Il est associé au monde du sensible décrit par Platon. Sur ses terres, on y est toujours le bien venu… Sur ses terres, les éléments se juxtaposent. Il est la sphère de la matière.
Le temps est plus pâle, plus remuant, plus secret, plus difficile à cerner, à juger, à connaitre, nerveux, changeant, porté sur le paradoxe, d’une instabilité maladive, toujours prêt à trahir et se réfère au monde des idée selon Platon. Le temps n’a pas d’âge : il peut être jeune et tout à coup vieux… Il est si imprévisible qu’il n’est même pas possible de s’en méfier tout à fait. Il a un faible pour la mort et les fins tragiques, les passions qui se défont et les lents écroulements.
Certains philosophes prétendent que ni la matière, ni le temps n’ont de réalité autonome.
Ils n’existeraient que dans l’esprit de l’homme. Donc, si pas d’homme, pas de matière, pas de temps !
Pourtant, la matière sous ses formes céleste, solide, liquide, gazeux est le seul moyen de mesurer le temps. Il faut que la matière bouge, se fasse et se défasse, se déplace ou s’écroule pour rendre sensible le temps. Le temps n’apparait que dans l’espace et à travers le mouvement.
Les millénaires, les siècles, les semaines, les heures, les minutes, les secondes sont des inventions arbitraires qui peuvent-être modifiées en un clin d’œil par l’homme. Les jours, les mois, les années sont inscrits dans le tout par le Soleil et la Lune. Mais alors que signifiait le temps, bien avant l’Homme, le Soleil et la Lune ?
Le temps avant la conscience, est-ce déjà du temps ? L’homme essaye de le mesurer, de le quantifier, de le définir, de l’objectiver par les sciences : si le temps n’était qu’une projection de notre esprit sur le monde, comment expliquer le vieillissement des organes et la dégradation des processus physique ? Malgré toutes ces démonstrations logiques, le temps de la science lui-même n’est pas unique. Einstein nous démontre que le temps de la théorie de la relativité n’est pas celui de la physique classique, ni celui de la microphysique. Alors qu’en est-il des autres sciences ?
Le temps de la science n’est bien évidemment pas celui de l’existence personnelle : le temps de la montre est indifférent à ce qu’il contient, celui de nos vies est entièrement subordonné.
Et le temps nous échappe toujours et encore par ses trois hypostases inégales. Peut-on soutenir qu’aucun de ses trois parties n’a vraiment d’existence : le passé, parce qu’il n’existe plus ; l’avenir, parce qu’il n’existe pas encore ; le présent, parce qu’il est à chaque instant, et malgré sa permanence, en train de s’évanouir. Saint Augustin fait observer que ces trois temps se réduisent à un seul : le présent qui est soit le présent du présent (celui de la conscience actuelle), soit le présent du passé (celui de la mémoire), soit le présent du futur (celui de l’imagination). Seul n’existerait que le présent, le passé n’existe plus et le futur pas encore.
En conclusion de quoi, nous pouvons penser que l’existence du tout et de l’homme est avant tout métaphysique. Le temps n’est pas notre invention personnelle. Il nous a toujours précédés.
La science domine ce qui est dans le temps et uniquement ce qui est dans le temps, alors que le temps lui échappe : toujours le contenu et jamais le contenant.